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Augustin et son tacot…

Dernière mise à jour : 16 juil. 2021

Il le sait, il aurait dû la changer depuis longtemps. Ces vieilles voitures sont capricieuses mais il s’y est attaché.

Elle connaît chaque virage, chaque courbe, chaque cahot.

Ils sont ensemble depuis plus de vingt ans…

« Tu es trop nostalgique » se dit Augustin.

« Tu aurais dû la changer depuis longtemps. »

Evidemment pas de réseau. La tournée est compromise…


Augustin est médecin de famille. Il tient à l’appellation. Cela fera 45 ans cette année qu’il s’est installé au village.

983 âmes à l’époque, 254 aujourd’hui. Cela c’est le village. Mais il y a aussi les hameaux, les lieux-dits et le reste…

Toujours autant de kilomètres, chaque jour. Et chaque jour des trajets différents. Et toujours ces « patients » qu’il a vu grandir, vieillir, mourir pour certains.

Et puis les autres, ce petit nombre de « gens de la ville » qui se sont accrochés, un peu comme dans un film de Pagnol.

Peu à peu, ils se sont fondus dans le paysage. On ne les désigne même plus comme des étrangers.


Il y a Ahmid, installé en 85. Avec sa femme et ses 2 petits. Quelques chèvres, un lopin de terre et voilà. Il avait déjà fait 10 ans chez Renault à Billancourt. Il voulait être maître chez lui.

Son aîné est praticien hospitalier, gynécologue, au loin. On ne l’a plus vu depuis 10 ans. Quant à la fille, un malheureux coup de foudre et un destin brisé, perdu.

Il l’a lu dans les yeux de Djamila, l’épouse d’Ahmid. Elle en souffre toujours, en silence. Pas de petits-enfants à chérir, pour qui tout donner, se démener, crier, chanter…

Non, des journées de silence avec un mari taiseux. Quelques chèvres, toujours le même ménage, des fromages…


Augustin sent bien qu’un jour ou l’autre leur raison va vaciller. Ils tiennent du mieux qu’ils peuvent mais comment peut-on vivre sans tribu, sans pouvoir rentrer au pays, sans vrais amis?


Depuis peu, il y a des coordinations régionales de santé. Il peut les appeler. Mais pour dire quoi ? Que la solitude génère un besoin croissant d’hypnotiques et que la béquille va casser ? Il sait que peut-être il les retrouvera morts, serrés l’un contre l’autre ou rampant, les yeux hagards…Que pourrait-on pour eux ? Un séjour à l’hôpital puis une convalescence dans un foyer pour « vieux pas assez vieux »? Une « téléalarme » quand le réseau n’est pas trop capricieux ?


Et puis cette pauvre Annette, si mignonne à 25 ans, qui est partie loin, aux pays des fantômes dit-elle. La première HDT (dans les années 90 de mémoire) n’a rien arrangé. L’injection tous les 15 jours permet de subsister. Les dents tombent les unes après les autres. Il lui faudra même en extraire deux… « Sans-dents » Cela le fait enrager…

Heureusement, Gigi et Lisette : un café chaud. 45 ans de connivence. Ils tiennent le coup. Ils le rajeunissent. Du coup, il ne refuse pas une Gauloise sans filtre. Il est des plaisirs ineffables…songe-t-il en exhalant la fumée de ses poumons décalaminés.

Que dire à la coordination, qu’ils ont froid, qu’ils manquent de tout ?

Augustin se reprend. Des jeunes sont venus. Il a partagé des dîners avec eux.

Sa femme était allée de plus en plus souvent chez sa sœur. De 7H00 à 22H00 dans un village vide, que faire ? Et puis elle y est restée. Et puis ce n’était pas sa sœur.

Le micro-onde est sa deuxième femme. Cela lui va bien. Plaute pour s’endormir ? Peut-on rêver mieux ? Les Guerres Puniques finissent par lasser…

Les jeunes lui ont expliqué, la télémédecine, l’importance de l’impact social sur l’évolution des pathologies…Il s’est senti encore plus vieux…

Mais le lendemain, il a pris le temps. Il a appelé pour un, puis deux, puis trois patients. Il a pris le temps.

Elles font du mieux qu’elles peuvent, elles aussi ont des moyens limités. Qu’il n’exige pas plus d’elles que ce qu’il peut donner, lui… Diantre.

Le job a été fait. D’ours mal léché, il s’est mis à aimer ces contacts, ces femmes qui venaient parfois du bout du monde, pour une signature une aide. Il fallait qu’il soit là, que son autorité s’impose.

Enfin il l’a cru quelques mois. Elles se sont émancipées de sa tutelle symbolique, non par plaisir, non, mais par devoir.

Et c’est bien ainsi.

Il devrait peut-être se remarier, prendre du temps sur la Côte d’Azur…


Le tracteur s’arrêta à sa hauteur. C’était Jean-Paul.

« Alors Docteur, elle a fini par vous lâcher ? »

Oui, pensa Augustin, elles finissent toujours par le faire…


COMMENTAIRES :

Des destins « à l’ancienne ? » Pas si sûr.

On a et on aura toujours besoin d’être près les uns des autres. Démultiplier les chances des patients isolés, déjà dans un état de vieillesse plus dû au mode de vie qu’à l’âge ?

Bien sûr. Prendre ce temps-là, bien sûr.

Facile, assis dans son fauteuil, une pipe à la main en lisant…

Mais ce temps, ils ne nous le volent pas : on le leur doit.

Il nous coûte, il peut leur rapporter.

Les réseaux de santé vont passer à la vitesse supérieure, bien sûr. Le médecin généraliste va voir augmenter sa charge, bien sûr. Il l’a toujours su. L’ours va se retrouver temporairement dans une tribu, et pourquoi pas ?

Il y aura quelques miracles, des échecs retentissants et surtout un accroissement du mieux-être, impalpable au début, mais dont l’on fera addiction.

Pensons à Mandela : « Aucun de nous, en agissant seul, ne peut atteindre le succès. »

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