Le crépuscule pointe sur l’EHPAD. Le soleil rougeoyant se déploie sur les lieux et repeint murs et acteurs. Ce soir, Théia* leur a fait une offrande somptueuse.
Lucie est mélancolique.
Elle sait la solitude de la souffrance. Ce veuvage, c’est toute sa vie qui bascule. Elle sait désormais ce que veut dire "la mort dans l’âme".
Elle ne veut pas "être consolée" : cela ne sert à rien.
Tout devrait revenir comme avant, point final.
Elle sait bien que ce n’est pas possible, mais à quoi s’accrocher ?
A une vie vide, sans personne sur qui compter ?
Comment se faire à l’idée qu’il ne reviendra pas ? Que c’est fini… Tous ces mots, toute cette vie, ces grands moments…
Personne ne peut m’aider, pense-t-elle, à réparer, à retrouver, à revivre ces instants partis.
Que croire ? Que si l’on sait que personne ne nous aide à réparer on peut aussi accepter d’être aidé à rester humain ?
Que lui a dit Bernadette son aide-soignante ?
"On ne pourra jamais vous aider à oublier… on peut juste vous aider à rester une personne vivante, qui continue. Est-ce que vous voulez bien de mon aide ?"
Elle en a quand même eu les larmes aux yeux. Brave petite.
Elle était affectée elle aussi.
Au début, cela a énervé Lucie. Elle pensait presque qu’on lui volait le droit d’être malheureuse. Mais elle s’est bien vite raisonnée.
"Offre toujours ton meilleur visage" lui disait sa mère.
Elle a raison cette petite, avec ses mots simples, directs, vrais.
Elle ne m’aidera pas à réparer ce qui est cassé mais elle m’aidera à continuer, à être vivante, humaine.
Et c’est le meilleur chemin pour moi.
Bernadette m’a aidé à reconstruire une perspective alors que je n’en voyais plus. Je repense à mon enfance, à la prose de Shakespeare : " L’esprit oublie toutes les souffrances quand le chagrin a des compagnons et que l’amitié le console..."
*Théia : Titanide de la vue et de la lumière brillante du ciel
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