- Vont-ils se satisfaire de notre compréhension et de notre empathie ?
La question d’Arielle figea l’assistance.
La réunion avait pourtant bien commencé : tout le monde avait le cœur sur la main, tout le monde était vent debout contre la maltraitance, l’anti-bienveillance…
Elle venait d’intégrer le service comme A.M.P.
- Nous sommes là pour les accompagner… répondit la cadre. - Vers quoi ? dit alors Arielle, vers la mort ? Vers la fin ?
Silence dans la salle. Quelle audace avait cette nouvelle, pour qui se prenait-elle ? - Ce que je veux dire, dit alors Arielle, c’est que nous ne parlons de rien ou plutôt nous ne parlons avec eux que de petits rien, comme si de rien n’était… J’ai l’impression d’avoir un rôle hypocrite… Je veille sur eux en attendant… Et eux s’y conforment… - De quoi voudrais-tu parler ? lui dit alors Sophie.
C’était une ancienne. Elle se disait que les jeunes ont toujours du mal à s’y faire. La vie, la mort, c’est compliqué. - Si je m’imagine à leur place, peut-être y aurait-il des choses que j’ai gardées pour moi, envers et contre tout, des petits secrets, des petites bassesses que je ne veux pas partager avec mes descendants… ou alors peut-être me demanderais-je à quoi je sers, pourquoi cette longue attente… dit alors Arielle. - Oui, cela arrive… dit alors la cadre, surtout en fin de vie… Ils éprouvent la nécessité de nous dire ce qu’ils n’ont pas voulu ou osé dire et dont ils aimeraient se libérer… - Je sais bien, dit alors Arielle, mais c’est toujours à leur initiative. Comme si nous ne devions entendre ce qui doit être dit seulement au dernier moment… Si j’étais très vieille et très malade, mais pas mourante, j’aimerais peut-être savoir que quelqu’un pourra m’aider à conclure ma vie, à donner du sens à cette fin et non pas glisser jour après jour sur des lits de banalités, de refus,… - T’aider à conclure ta vie ? dit alors Sophie. Elle sentait qu’il y avait autre chose que de la frustration chez Arielle. - Si je rentre en maison de retraite, c’est parce que je ne peux plus vivre chez moi et qu’il y a de très fortes chances que ce soit ma dernière demeure. Alors comment puis-je me préparer à finir ma vie si personne n’en parle ? - Donc, il faudrait leur dire : bon voilà, comme vous allez bientôt mourir, il faut vous y préparer, c’est cela ? dit alors un autre membre de l’équipe.
Cette situation était stressante. L’équipe se sentait une mission d’accompagnement mais pas en mesure de donner du sens au séjour. Ce n’était pas leur rôle. Peut-être celui de la psy ? Tous les regards convergèrent vers elle.
Elisabeth, la psy, dit alors :
- Arielle a soulevé une question importante. C’est le rôle du psy de parler de ces sujets, aucun doute. Toutefois, il est nécessaire que nous définissions ce que nous voulons collectivement. Quels sont leurs désirs réels ? Qu’est-ce qui les effraie ? Comment vivent-ils ce changement du domicile à notre EHPAD ? Arielle n’a pas tort, il y a probablement des questions dont on pourrait parler avec eux et des sujets plus intimes pourraient être évoqués avec moi…
La cadre reprit la main :
- Donc, ce que tu veux dire, c’est que à l’entrée ou au cours du séjour, des questions générales sur le sens de la vie, sur la manière dont chacun peut envisager son séjour en EHPAD peuvent être évoquées avec un professionnel ? Moi, je ne me vois pas trop parler de cela… - Oui, reprit la psy, ça je le comprends très bien. Finalement notre principal obstacle est que nous ne savons pas exactement comment évoquer cette question, ce qui en fait un sujet tabou, non ? - Oui, et en plus, sur quoi cela va-t-il déboucher ? Est-ce que l’on ne va pas ouvrir la boîte de Pandore ? st-ce que l’on ne va pas les effrayer encore plus ? Est-ce qu’ils ne vont pas penser que l’on veut se débarrasser d’eux ? dit alors Sophie. - Ou alors, dit alors Arielle, sur une sorte de récit, un sorte d’essentiel des bons moments, un sorte de fierté de ce qui a été accompli un peu comme si l’on se disait que l’on est là pour mieux réfléchir à qui l’on est plutôt que de se dire que l’on est là pour attendre la fin… - Alors par exemple, dit Catherine, lorsque la toilette du soir est terminée avec Mme X, que je lui dis – à demain – et qu’elle répond – Si la Sainte-Vierge n’est pas venue me chercher - c’est qu’ elle souhaite évoquer le sujet ? » - Bien sûr, rétorqua la Psy. Souvent, l’on ne sait que dire et l’on plaisante en disant que son tour n’est pas encore venu… En fait, ce n’est pas tant la mort qui les inquiète mais plutôt l’incertitude sur la vie qu’elles vivent… - Et que dirais-tu, toi, la Psy? - D’abord je ne lui parlerais pas directement d’elle, je pourrais lui dire qu’en effet, certaines personnes dans les EHPAD se demandent à quoi elles servent… que certaines personnes s’interrogent sur leur vie d’aujourd’hui… Que d’autres prennent la vie comme elle vient, au jour le jour… Que pour certains la vie en EHPAD inquiète et que pour d’autres cela les rassure… Je lui demanderais son opinion si elle souhaite en parler… En fait il n’y a pas de discours "tout faits", la seule chose qui est importante est de généraliser ce type de problème, de parler de la vie en général… Qu’en pensez-vous ? - Ah je trouve que c’est une excellente idée, conclut Arielle, cela permet d’évoquer les sujets difficiles sans que le résident se sente impliqué personnellement et puis cela augmente probablement les chances de le faire sortir de leur isolement… Je crois que je tiens le début d’une réponse… Merci.
Comentarios