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Photo du rédacteurJacques Heurtier

Crime en Ehpad

Dernière mise à jour : 16 juil. 2021

Pierre écrasa sa cigarette. Que faire ?

Ce nouveau Kiné était formidable : toujours à l’écoute, patient, attentionné ; on eût dit qu’il pratiquait depuis des décennies.

Et pourtant c’était son premier poste, son deuxième mois…

L’attaque fut brutale : une famille l’accusait de viol sur une résidente.

Le jour même la gendarmerie était venue le chercher.

Pierre n’y croyait pas. Cette cabale était insensée. Que faire ?

Tout le monde ne parlait plus que de cela…La dramaturgie de cette sale histoire se déployait de manière exponentielle. L’ARS demandait des comptes, le Conseil Départemental aussi… Les familles n’allaient pas tarder à réagir…

Convoquer tout le monde ? Mais que dire ? Comment ramener un peu de calme ?

On verra bien, pensa-t-il. Ne laissons pas traîner…


Toute l’équipe était là. Même les cuistots. On murmurait, chuchotait, l’agitation rendait l’ambiance électrique.

« Si je vous ai réunis ce matin, c’est pour faire le point sur les événements qui ont conduit à l’audition de Jean-Jacques par la gendarmerie à la suite de la plainte de la famille Bertrand. »

Il avait parlé calmement, lentement. C’était le mieux à faire.

« Désormais, cette affaire va être traitée par les autorités et nous allons devoir faire avec. »


Deux secondes de silence.


Il reprit :

« Nous ne pouvons pas ne pas nous interroger à ce sujet. Toutefois, aucun d’entre nous n’a d’éléments probants. Nous avons seulement des convictions. La mienne est qu’il s’agit d’une erreur et que tout va bientôt rentrer dans l’ordre… »


Le silence était pesant. La plupart de l’équipe était d’accord, sauf les adeptes de la théorie du complot…

« Je vous invite donc tous à faire preuve de circonspection en évoquant cette affaire… entre vous. Je crois préférable d’éviter les apartés avec certaines familles. Notre seul but est de pouvoir faire notre travail correctement malgré ces préoccupations. Vous pourrez donc arguer du fait que la direction ne souhaite pas communiquer sur cette affaire pour l’instant.»

L’IDEC demanda : « Et pour Mme Bertrand, qu’en est-il ? »

« La famille a porté plainte mais ne souhaite pas pour l’instant faire déménager Mme Bertrand.

Donc, nous continuons comme si de rien n’était… »

« Ah non, » dit subitement Arlette. « Je ne veux pas être accusée à mon tour… »

« Vous pensez que le risque existe d’être accusée vous aussi ? »

« Oui » maintint Arlette « je n’ai plus confiance … je préférerais que l’on soit à deux pour la toilette de Mme Bertrand… »


Pierre se tourna vers le groupe : « Qu’en pensez-vous ? »

L’IDEC intervint : « Je pense que c’est une bonne idée. Cela ne devrait pas perturber le planning… »

« Alors OK » dit Pierre. « Pour ma part, j’ai convoqué le CVS à 14H00. Je pense réunir très rapidement les familles même si nous n’avons pas grand-chose à dire. Nous ne pouvons pas seulement faire le dos rond. Je n’en dirai pas plus que ce que je vous ai dit. »

Pierre savait que ce genre d’événement pouvait bouleverser l’établissement. Il souhaitait que l’équipe puisse faire face à ces incertitudes sans trop de stress. Seul un discours rationnel, détaché pouvait tenter d’endiguer ces bouleversements. Il doit y avoir un capitaine dans le bateau. Il devait aussi éviter de dire aux équipes de ne rien montrer face à la résidente concernée. C’eût été le meilleur moyen de provoquer un désastre.


Il était assez content, l’équipe semblait rassurée. Pour l’instant, pensa-t-il.

Il conclut :

« Nous allons donc reprendre le cours de nos activités car aucun d’entre nous ne se laissera guider par le stress. C’est une situation pénible mais nous en avons surmonté d’autres. Voilà la phrase qui nous réunit tous. Nous sommes bien d’accord ? »

L’équipe opina du chef. Il ne voulait qu’une chose, c’est que chacun se dise : « Oui nous vivons une situation difficile mais nous ferons face. »


C’était son job : à situation difficile, leadership exceptionnel, se souvint-il. Il se leva et se dirigea tranquillement vers son bureau.

« J’ai bien mérité une deuxième cigarette, » pensa-t-il. « Finalement, le stress c’est seulement beaucoup d’espérance pour trop peu de patience… »

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