L’avancée en âge produit des éléments étranges : c’est le temps de davantage d’introspection. On revisite, à froid, des événements jamais évoqués. La vie de famille nous impose la responsabilité d’être superficiels.
Toutefois, quelques signes ne trompent pas : je disais autrefois à mes petits-enfants qu’ils avaient bien de la chance d’avoir de beaux cadeaux de Noël, que de notre temps, une orange était déjà un luxe.
J’ai eu tort : il ne faut pas parler. Je leur ai peut-être en partie gâché la joie des cadeaux.
D’ailleurs, ils ne sont plus des preuves d’amour inconditionnel : on les revend sur internet dès le lendemain, comme si c’était uniquement de la marchandise.
Les cadeaux sont bien plus qu’un plaisir et auraient dû le rester. On aurait dû faire en sorte qu’ils soient appréciés pour cela, même s’ils sont inutiles ou désuets.
Pourquoi leur parler de la guerre, des privations ? Ils sont trop jeunes pour porter notre souffrance. Ils apprendront bien assez vite.
Nos aphorismes à répétition sont nos pires ennemis, nos sentences sur tout et rien les asphyxient.
Je l’ai désormais, un peu tard, bien compris. Aujourd’hui, dans la maison de retraite, je parle cuisine, je m’enquiers de la santé des enfants de l’équipe. Je leur fais parfois des remarques mais toujours en tête à tête et avec des mots appropriés.
La nostalgie est une vision trompeuse de l’histoire, un mensonge collectif dont nous devrions d’avantage nous défier. Le goût de l’effort et du sacrifice doit être inculqué avec amour.
Il y a encore 5 ans, lorsque j’étais à la maison, je conviais à manger enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants un dimanche par mois. Je passais la matinée à cuisiner. C’était un vrai bonheur. Je leur ai simplement dit que j’étais heureuse de les voir, que je voulais profiter pleinement de leur présence et leur ai demandé s’ils accepteraient, le temps du repas, de déposer leurs smartphones dans l’entrée.
Je m’intéressais à chacun d’eux, les questionnais sur leurs meilleurs moments, et je préparais toujours un court hommage écrit pour chacun d’eux, que je lisais à haute voix.
Mon aide-soignante m’aide à leur rédiger de nouveaux compliments par mail. Qu’ils répondent ou non ne me froisse pas.
Il est là le rôle de la vieillesse, être d’une bienveillance exemplaire vis-à-vis d’autrui… Si nous n’assumions pas cette ultime mission, alors oui l’adage "fugit irreparabile tempus" de Virgile nous rendrait chaque minute impossible…
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