Nous sommes en 1942 à Paris. Mme Y a 22 ans, son mari est au STO en Allemagne. Elle travaille dans une usine et a un mal fou à nourrir ses trois enfants (rationnement oblige). Tout est difficile : trouver du charbon, du pain, des vêtements,…
Un beau jour, un Ange apparaît dans sa cuisine.
Il lui dit : « Vois-tu, ta vie est très difficile. Mais les choses vont changer plus tard. D’abord, tu vas vivre jusqu’à 90 ans et plus… »
Là elle ne le croit pas. La plus vieille personne qu’elle connaît a 72 ans et, à cette époque, c’est beaucoup.
Elle lui dit : « Bon, admettons… Mais comment je ferai à cet âge-là pour aller chercher du bois, faire mes courses et tout le reste ? »
Et l’Ange répond : « Ce sera très simple : tu seras dans une grande maison avec d’autres personnes de ton âge. Vous aurez un restaurant et tu pourras manger autant que tu veux. Tu auras une chambre chauffée sans rien faire et même une salle de bains… En plus quelqu’un t’aidera à faire ta toilette si tu n’y arrives pas… »
Elle répond : « Mais c’est trop beau…Tu es sûr ? »
Lui : « OUI, tout à fait sûr, ça se passera comme ça. »
Et elle : « Mon Dieu, c’est merveilleux, je vais vraiment avoir une vieillesse très heureuse… »
L’histoire s’arrête et reprend en 2014. Mme Y a 90 ans. Elle est en maison de retraite. Et vous savez quoi : elle se plaint tout le temps et déteste sa vie en maison de retraite….
D’abord, il faut vous avouer une chose : des Anges comme celui-ci n’existent pas. C’est bien dommage car ils pourraient peut-être nous aider à faire envisager aux personnes âgées l’idée d’aller un jour en maison de retraite.
Si l’intégration en maison de retraite des résident(e)s est aussi difficile parfois, c’est parce que c’est une solution que les gens n’envisageaient pas ou plutôt ne voulaient pas envisager.
Pourquoi beaucoup de personnes âgées disent à leur enfants : « je ne veux pas aller en maison de retraite, j’en mourrai… » ?
Parce que les maisons de retraite auraient une mauvaise image ? Probablement pas.
La raison de ce refus est plutôt la peur d’être abandonné(e). On appelle cela « l’anxiété de séparation ». Elle est liée à 2 peurs : celle d’être abandonné sans défense et de mourir.
Certaines personnes âgées pensent que le fait de rester à la maison « éloigne » la fin*. Elles se sentent encore un peu reliées au monde depuis leur domicile.
Nous l’ignorons encore, mais dès l’âge de 75 ans la plupart des gens pensent à la mort en se réveillant et en se couchant. Cette idée devient une compagne.
*L’idée de la mort fait peur : on ne peut pas se la représenter. On peut ce représenter ce que c’est que d’avoir mal, mais pas ce que c’est que d’être mort.
Quand on ne peut pas se représenter quelque chose, on crée des rituels. Par exemple, on va lire la rubrique nécrologique dans le journal. Lorsque l’on lira qu’une personne plus jeune est décédée, on sera content. Content non pas que cette personne soit morte, mais d’être encore en vie. Cela deviendra un rituel.
On repoussera aussi la date de la fin : à 80 ans, on dira 85 ans c’est un bel âge pour mourir, puis, à 85 on dira : 90 ans c’est un bel âge pour mourir, etc… jusqu’à 100 ans. La centième année est un cap : on n’aurait jamais imaginé vivre aussi longtemps. Cette fois, on se dit qu’il est temps. Et on ne comprend pas toujours pourquoi tout le monde fait la fête. On a envie de dire : pas la peine de me rappeler que je suis aussi vieux (ou vieille).
Pour en revenir à l’anxiété de séparation, dans tous les cas où des personnes entrent en maison de retraite sans l’avoir désiré elle se manifeste…
Le deuxième intérêt de cette histoire, au moment où l’on réfléchit à la France de 2025, c’est de nous indiquer que, quoi que l’on prévoie aujourd’hui pour les EHPAD des «babyboomers», un infini cortège de « désirs nouveaux » va éclore et se répandre.
A nous d’accepter (et de prendre en compte) ces incertitudes ?
(extrait du stage « Communiquer plus efficacement avec les familles »)
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