On frappait doucement à la porte.
« Entrez » dit Raymonde.
« Bonjour Mme Martin, c’est Julie, votre aide-soignante. Je suis là pour vous aider à la toilette. Vous sentez-vous en forme, ce matin ? »
« Ca peut aller, » dit Raymonde, « et vous ? Vous êtes un peu pâlotte… »
« C’est que le petit a beaucoup pleuré cette nuit, … il fait ses dents… »
« Oh, ma pauvre petite, c’est vrai que ce n’est pas facile… »
« Je vous aide à sortir du lit Mme Martin ? »
« Oui, allez-y ma petite et faites-moi belle. Mon petit-fils passera peut-être aujourd’hui… »
« D’accord, Mme Martin » dit Julie, le cœur serré.
Tous les matins elle l’attendait son petit-fils. Personne ne l’avait jamais vu mais tout le monde le connaissait. Il était un de ces fantômes de l’établissement, qui n’existe que dans les pensées et les discours.
Et Raymonde chaque matin continuait : « Et si vous saviez comme il est beau…Quand vous le verrez, vous allez être enchantée… »
Ses voisines la raillaient. :« Pensez donc, depuis plus de 6 mois, elle dit la même chose tous les jours. Et tous les soirs, elle pense que c’est pour demain…Elle perd la tête… » « Si ça se trouve, elle n’en a même pas de petit-fils »…
Julie ré-évoqua le sujet au cours des transmissions. Tout le monde rajouta son grain de sel.
« Il va falloir faire quelque chose, ça ne peut pas durer… »
« Oui, pauvre femme, ça me fait mal pour elle, de la voir si confiante, si enjouée, pour rien… »
Le médecin arriva, un peu essoufflé.
« Docteur, il faut faire quelque chose avec Mme Martin, vous savez la résidente qui attend toujours son petit-fils qui ne vient jamais… »
« Et que voulez-vous faire ? » dit le Doc.
« Eh bien, je ne sais pas, lui dire que c’est impossible. Ça lui fait du mal….On ne peut pas la laisser dans l’illusion… »
« Ça LUI fait du mal ? J’avais l’impression que c’était à vous que ça faisait du mal, non ? » dit fermement le Doc.
Un ange passa dans la salle de réunion.
Doc reprit : « C’est typiquement le genre de faux-problème qui fait perdre un temps fou…Ce que vit cette femme génère chez vous de la frustration et, sans réfléchir, vous volez à son secours et allez probablement lui briser le cœur… »
Doc inspira et conclut : « On s’accroche tous à des rêves impossibles, soit, mais ne brisons pas ceux d’autrui. »
C’est ainsi que se régla le problème du matin : il était donc nécessaire de mieux réfléchir à ce qu’était un problème avant que de s’engouffrer dans l’indignation.
Doc savait que ses cruelles petites phrases n’avaient qu’un but : accroître la capacité d’analyse des problèmes de l’équipe. C’était son rôle et il « assurait ». « La raison est la première autorité et l’autorité l’ultime raison… » se souvint-il brusquement. Il le nota, pour plus tard…
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