- Je ne veux pas mourir, docteur, dit Emma d’une voix suppliante.
Doc la regarda avec intérêt, droit dans les yeux, fixement : c’était sa technique pour éviter la compassion. - Je sais, dit-il, on va faire le maximum…
- Non, je ne veux pas mourir… reprit-elle. La supplique se terminait en sanglots.
Virginie, la psy, était là aussi.
Est-ce là, cette première étape que traverseraient tous les mourants ? C’était compliqué : chacun et chacune réagissait différemment. Cela paraissait impossible d’élaborer une théorie…
Doc allait partir et elle allait se retrouver seule. Elle ne se voyait pas dire "je comprends" ou "personne ne veut mourir"… Et encore moins "qu’est-ce qui vous effraie ?"
- Dites-moi que je ne vais pas mourir… Vous devez bien pouvoir faire quelque chose, non ? reprit la résidente.
Virginie pensait : agressivité, chantage… L’avantage d’une théorie, c’est que cela permet de supporter le présent. Il est connu, rassurant.
Elle gardait le silence. Ses pensées s’entrechoquaient. Dieu que ce travail est difficile, pensa-t-elle…
Emma se mit à pleurer. Entre deux sanglots elle répétait encore : "je ne veux pas mourir…"
- Vous voulez profiter de la vie, c’est bien cela ? dit alors Virginie.
C’était sorti tout seul.
Emma la fixa de ses yeux tristes.
- Oui, je veux continuer… hoqueta-t-elle. - Vous voulez continuer à apprécier de belles choses, c’est cela ? - Oui, dit Emma, oui, oui, oui… - Voudriez-vous que je vous lise un peu de Madame Bovary ? - Oh oui, avec plaisir, dit Emma.
Virginie saisit le livre et commença la lecture. Elle lisait bien, respectait la ponctuation, donnait de la vie au texte de Flaubert.
Quelques minutes plus tard, Emma s’endormit, paisiblement.
Virginie referma le livre et sortit.
Elle était de bonne humeur, elle avait faim…
Qui avait dit déjà : "C’est l’ombre de la mort qui donne son relief à la vie" ?
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