- Encore elle… J’en ai marre, cette fois ci j’appelle la maison de retraite et ils vont m’entendre…
Ginette était très en colère. C’était la deuxième fois, cette semaine, que cette petite dame de la maison de retraite farfouillait dans les allées de la supérette sans jamais rien acheter. Elle tenait ce commerce depuis plus de 50 ans, avec sa sœur… Pour elle, un client ça achète ou ça s’en va. - Vous désirez quelque chose de particulier ? demanda Paulette, la sœur de Ginette. La dame ne répondait pas. Elle était très occupée à fureter parmi les revues. Du reste, elle ne répondait jamais.
Mais elle ne faisait pas de mal : certes parfois, elle dérangeait un peu, certes, parfois elle glissait un objet dans sa proche… La maison de retraite ramenait bien promptement l’objet en question.
- Liberté d’aller et venir, et puis quoi encore, grommela Ginette, ils n’ont qu’à garder leurs fous. On n’en veut pas ici… - Mais enfin Ginette, sois un peu plus conciliante, elle ne fait rien de mal… rétorqua Paulette. - Ah non, ça fait maintenant 6 mois qu’elle squatte… Avant, au moins, elle achetait… Parfois elle prenait n’importe quoi, mais au moins elle achetait… - Mais qu’est-ce que cela peut faire, dit alors Paulette, qu’elle achète ou non ? - Ça fait, ça fait… que si elle n’achète pas, elle n’a rien à faire ici… C’est tout !
Ginette décrocha rageusement son téléphone. - C’est Mme Paillasson, passez-moi la directrice, aboya-t-elle comme à l’accoutumée. - Bonjour, c’est Mme Paillasson, de la supérette, il y a encore une de vos personnes âgées qui s’est perdue dans mon magasin. Vous ne pouvez pas les empêcher de venir ? Ça perturbe notre travail… - Bonjour Mme Paillasson, dit la directrice. Si je comprends bien, la présence de cette dame vous dérange, c’est bien cela ? - Ah oui, ça on peut le dire : elle dérange tous les rayons et n’achète rien… - Et qu’est-ce qui vous dérange le plus, qu’elle dérange les rayons ou qu’elle n’achète rien ? dit alors la directrice. - Elle dérange, c’est tout… Je suis tout de même chez moi, non ? vociféra Ginette. - Bien sûr, dit alors la directrice, mais cette dame aime sortir les après-midis, elle aime aussi votre boutique dans laquelle elle a fait ses courses toute sa vie… Et c’est un plaisir pour elle, qu’on le veuille ou non… - Je n’ai rien contre cette dame…
Ginette commençait à se radoucir.
- Mais bon, si vous pouviez la garder dans votre maison de retraite… - Vous savez bien Madame Paillasson, que ce n’est pas possible… Elle a le droit d’aller et venir comme bon lui semble, comme nous tous… Et puis, cela la priverait tellement de ne plus faire sa promenade, ce serait quand même bien triste, non ?
La sonnette du magasin s’activa. Un client entrait. Ginette savait qu’elle ne pouvait pas continuer de déverser sa colère à propos de cette vieille dame…
Qui sait, si ça se savait, elle pourrait perdre des clients…
- Bon, ce n’est pas si grave, dit alors Ginette, nous allons faire avec… Au revoir Madame la Directrice…
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