Beaucoup de fatigue dans les équipes. Outre la multiplication des arrêts, le moral était bas. On avait tenté beaucoup de choses : réunions avec psy, relaxation, gym en équipes, formations à la gestion du stress… mais les effets bénéfiques étaient de courte durée.
Colette ne voulait pas baisser les bras. Elle n’acceptait pas ce mauvais climat. Personne n’en était responsable et tout le monde en souffrait, y compris elle.
On ne peut pas changer l’état d’esprit de chacun pensait-elle.
Toutefois, elle pensait qu’agir sur le collectif avec pertinence pouvait influer. Ce résultat pourrait constituer ultérieurement la porte ouverte sur des améliorations personnelles.
Trouver la bonne personne pour ce faire n’est guère aisé : un exposé magistral sur la pensée de Socrate n’avait aucune chance d’aboutir. Le but n’était pas de "connaître" la pensée des philosophes mais bien de s’approprier une philosophie personnelle qui contribuerait à alléger la situation.
Elle lisait tout ce qu’elle pouvait sur le sujet. Elle attendait d’être surprise, voire emballée par un point de vue, une approche qui transformerait le collectif. Elle attendait, plus précisément, ce que le collectif s’approprierait pour le meilleur.
Cela ne changerait rien aux faits : la réduction de l’absentéisme, le recours à des intérimaires à peine accompagnées et qui jetaient parfois l’éponge après seulement 1H00 de présence et tout le reste seraient probablement là pour longtemps.
Pas d’illusions, donc, pensait-elle. Pas d’espoirs vains. Pas de surexcitation après une bonne journée… Non, ce qu’il fallait avant tout c’est vivre avec le moins de souffrance et de colère possible. Elle souhaitait que la relation d’aide entre les membres d’une équipe offre un maximum de zénitude…
Bien sûr, le concept d’ataraxie pouvait être un fondement mais il semblait plus simple à atteindre au sommet d’une montagne que dans le perpétuel stress du quotidien.
Faire contre mauvaise figure, bon cœur. Une résidente lui avait rappelé cet adage. Elle lui avait rappelé que cette question était éternelle.
Elle se dit qu’elle n’avait rien à perdre d’en parler avec elle.
Plusieurs fois par semaine, elle se rendit dans sa chambre parfois pour une heure, souvent moins. Parfois interrompues dans leurs conversations, parfois ne trouvant pas les mots.
Ce matin-là, la réunion d’équipe allait commencer. Elle n’avait rien dit. Elle alla ouvrir la porte et Mme Augustine entra et se plaça à la droite de Colette.
L’équipe se demanda de quoi il était question. Un léger frisson parcourut l’assistance.
Madame Augustine se racla la voix et dit : Mes chères petites, Nous, les résidents, sentons bien votre désarroi, nous sentons bien que vous souffrez de ne pas pouvoir être d’avantage disponibles pour nous. Cela nous peine, car nous ne pouvons guère vous aider. La plupart d’entre nous, même les colériques, même celles et ceux qui ont perdu la raison, éprouve pour vous beaucoup d’affection. Votre tristesse de ne pouvoir nous en donner plus vous afflige, nous le voyons très bien. Nous ne pouvons guère faire mieux pour vous mais je voulais simplement que vous sachiez à quel point nous tenons à vous, à quel point votre désarroi nous touche. Nous voyons votre bon cœur derrière cette tristesse même si nous ne le montrons que rarement. Je voulais vous le dire, au nom de tous les résidents. Je voudrais que vous ne l’oubliiez jamais. Merci de m’avoir écoutée.
Un silence total, quelques larmes au coin des yeux, des respirations émues que l’on pouvait sentir avaient fait irruption dans le groupe.
- Merci Madame Augustine, dit alors sobrement Colette.
Elle se leva pour la raccompagner. - Je crois que nous n’oublierons jamais, n’est-ce pas ? dit alors Colette à l’équipe.
Tout le monde l’ignorait, mais Colette avait enregistré en vidéo ce message. Elle savait qu’il faudrait le revoir de temps à autre.
Elle ne savait pas encore si ce témoignage était nécessaire, ce qu’elle savait c’est qu’il n’était pas suffisant.
Cet événement marquerait-il le début d’un changement ?
Elle l’ignorait mais ne voulait jamais cesser d’espérer.
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