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Photo du rédacteurJacques Heurtier

Un crépuscule ordinaire « côte sous le vent »

Dernière mise à jour : 16 juil. 2021

Il est 17H00. Les alizés caressent encore et encore tous ces corps alanguis. La main du malheur va arriver, pense Coralie. Ça y est, Célestine se met à trembler, son regard devient fixe, elle souffre. C’est la malédiction du passé, ces millions de coups de fouets, ces incessantes injures. Elle les revit tous les jours, comme sa mère, comme sa grand-mère, comme tous ses aïeux qui ont plié sous le joug des maîtres. Elle entend même les aboiements des chiens, les souffles courts des negmawons…Tous les jours, à 17H00.

Coralie se surprend à penser qu’à cette heure-ci, les Anglais boivent le thé.

Elle entoure chaleureusement Célestine de ses bras : elle sait que l’amour est le seul remède. Elle non plus ne sait que faire avec cette douleur dont on a l’impression qu’elle ne finira jamais.

Elle vous prend au détour d’une phrase, vous enserre, vous abat. Pourquoi Dieu a-t-il voulu cette souffrance ? Pour nous mettre à l’épreuve ? Elle ne sait pas. Elle ne saura jamais. Et il faut vivre avec.

« Oui, on en parle parfois… et ça peut faire du bien, mais ça ne change rien… » Sa cadre lui avait dit : « Tu es parfaitement formée pour ça. Pourquoi voudrais-tu dire quelque chose ? Tu agis bien mieux en leur donnant tout cet amour, sans rien dire. Cesse de te poser toutes ces questions, ce n’est pas bon… »

C’était vrai. Coralie avait ce don : chaque fois qu’elle rentrait en contact avec un patient, chaque fois qu’elle prenait sa main, chaque fois qu’elle s’activait avec application et générosité…

Peut-être était-ce là, la réponse divine, dans ce don de soi « thérapeutique » ? Il ne s’agissait pas de dire, mais de faire ?

Ils étaient nés dans l’esclavage, ils ont eu le courage et la folie d’en sortir et nous, nous garderions seulement la souffrance ?

Elle ouvrit le livre de Célestine et se remit, comme tous les jours, à dire à voix haute : « Je suis nègre » disait Frantz Fanon*, « et des tonnes de chaînes, des orages de coups, des fleuves de crachats ruissellent sur mes épaules. Mais je n’ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du passé… »

Tout était dit : l’EHPAD reprit son calme et chacun, délivré pour 1 jour, reprit son activité.


*Peau noire, Masque blanc – Frantz Fanon 1952

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